Abstract
De plus en plus, la cuisine est regardée comme un objet du patrimoine. La cuisine française fait désormais partie même, depuis novembre 2010, du Patrimoine mondial de l'Unesco. Perçue par ailleurs comme un espace de convivialité dans l'imaginaire contemporain, elle se présente aujourd'hui comme le lieu de rassemblement, de partage et d'échange par excellence. Cette observation n'a pas échappé à la télévision qui s'est très vite emparée de ce lieu symbolique et qui n'a pas tardé à programmer diverses émissions à vocation originellement didactique. L'on se souvient notamment des enseignements dispensés par Maïté sur France 3 dans La cuisine des mousquetaires ou À table !, ou, plus récemment, des nombreux conseils avisés de Joël Rebuchon dans l'émission Bon appétit bien sûr. Cet engouement s'est vu couronner par la naissance de chaines télévisées entièrement consacrées à l'art de la table, à l'instar de Cuisine TV.
De succès grandissant, les émissions culinaires se sont démultipliées en l'espace d'une décennie. L'on ne compte plus aujourd'hui les séries télévisées ayant pour motif central la cuisine. Oui chef !, Un diner presque parfait, Master Chef, Top chef, Comme un chef, Chef, la recette !, L'amour au menu, Le chef contre attaque, etc. sont autant d'exemples d'une mode culinaire virtuelle saillante que plus personne n'ignore. Partant, l'objet du message de ces émissions semble s'être sensiblement déplacé de sorte que l'enseigne didactique sous laquelle étaient placées les premières émissions culinaires, parait devenir aujourd'hui tout à fait secondaire. Il ne faut voir en cette altération, d'après le philosophe Robert Redecker, autre chose que la réponse à une société en évolution, dont les attentes ont considérablement changé en dix ans. Ces nouvelles émissions culinaires remplissent aujourd'hui "le même office social qu'un match de football ou de rugby" (R. Redecker, "La cuisine dénaturée par sa surmédiatisation", Le Monde, 12/9/2011)
Sous la couverture du plaisir et de la convivialité, qualités attendues d'un bon repas en bonne compagnie, ces séries véhiculeraient donc un message particulier, reflet de la société actuelle, celui de la lutte et de la course à l'excellence. En témoignent déjà certaines appellations d'émissions, placées sous le signe du concours au terme duquel il ne restera qu'un seul et unique chef. Face à l'intérêt passé pour l'instruction culinaire, c'est aujourd'hui le phénomène d'exclusion par le prisme de la compétition qui semble dominer dans les nouvelles séries culinaires à la mode. Par le biais du rêve (la belle et grande cuisine), c'est en effet un message de lutte entre des personnes réelles (monsieur et madame tout-le-monde, identiques au téléspectateur) dotées de mains d'or, que l'on exhibe à l'écran. Présentée comme un lieu réel de convivialité ludique alors qu'elle est l'instrument de la compétition, la cuisine télévisée s'apparenterait finalement aujourd'hui à un ring de boxe où les candidats se battent sans merci à coups de louches et de casseroles, de manière évidente (Master Chef, Top Chef) ou de façon plus insidieuse (Un dîner presque parfait). Ce constat invite à poser cette question : à l'heure actuelle, quelle est encore la place effectivement laissée à la convivialité et au noble art de la table dans ces émissions modernes ?
Ainsi, nous entendons mettre ici en évidence la place laissée à la convivialité et à la solidarité, et, avec elles, à la compétition voire à l'exclusion dans quelques émissions de télé-réalité actuellement en vogue. Pour ce faire, nous procèderons à l'analyse de plusieurs séquences de cinq séries télévisées choisies pour leur audimat spectaculaire, à savoir Top Chef, Master Chef, Comme un chef, Un diner presque parfait et L'amour au menu.
Par le passage au peigne fin d'épisodes rassemblés, nous chercherons à identifier les différents éléments, parfois subtils, qui participent au déploiement de dimensions compétitives et, partant, excluantes dans ces émissions télévisées. Nous entendons plus particulièrement étudier les propos et les procédés langagiers qui alimentent les rivalités entre les candidats et nourrissent l'esprit de compétition. Car il y a tout lieu de penser que, par-delà le choix des lieux de tournage ou le contexte situationnel dans lequel s'inscrivent les préparations des plats ou le dressage des assiettes, le type d'actions commandées mais aussi la manière dont les consignes sont énoncées, etc. servent toujours une finalité, celle du rappel de la mise en compétition, plus ou moins édulcoré suivant la série télévisée. Nous poserons par ailleurs la même hypothèse au sujet des propos tenus par les juges experts ès papilles ou encore par les candidats les uns sur les autres : que nous renseigne le choix des séquences opéré lors du montage en matière de valeurs portées par l'émission ? L'orientation des messages diffusés à l'écran est-elle tout à fait identique dans toutes les séries télévisées ?
Une fois observée la construction des discours de l'exclusion dans chacune des émissions sélectionnées, nous examinerons alors d'un point de vue (socio)linguistique et pragmatique, par le biais des maximes de Grice (1975) brièvement rappelées ci-dessous, la manière dont ces discours circulent dans ces shows télévisés et la place qui leur est réservée dans l'ensemble de l'émission. Nous examinerons ce faisant la mesure dans laquelle les discours de l'exclusion contrastent effectivement avec ceux de la convivialité -- paramètre qui semble inhérent au domaine culinaire dans l'imaginaire collectif actuel -- et l'emportent éventuellement sur ces derniers. Nous conclurons alors par la comparaison des résultats observés pour chacune des cinq séries de télé-réalité retenues.
De succès grandissant, les émissions culinaires se sont démultipliées en l'espace d'une décennie. L'on ne compte plus aujourd'hui les séries télévisées ayant pour motif central la cuisine. Oui chef !, Un diner presque parfait, Master Chef, Top chef, Comme un chef, Chef, la recette !, L'amour au menu, Le chef contre attaque, etc. sont autant d'exemples d'une mode culinaire virtuelle saillante que plus personne n'ignore. Partant, l'objet du message de ces émissions semble s'être sensiblement déplacé de sorte que l'enseigne didactique sous laquelle étaient placées les premières émissions culinaires, parait devenir aujourd'hui tout à fait secondaire. Il ne faut voir en cette altération, d'après le philosophe Robert Redecker, autre chose que la réponse à une société en évolution, dont les attentes ont considérablement changé en dix ans. Ces nouvelles émissions culinaires remplissent aujourd'hui "le même office social qu'un match de football ou de rugby" (R. Redecker, "La cuisine dénaturée par sa surmédiatisation", Le Monde, 12/9/2011)
Sous la couverture du plaisir et de la convivialité, qualités attendues d'un bon repas en bonne compagnie, ces séries véhiculeraient donc un message particulier, reflet de la société actuelle, celui de la lutte et de la course à l'excellence. En témoignent déjà certaines appellations d'émissions, placées sous le signe du concours au terme duquel il ne restera qu'un seul et unique chef. Face à l'intérêt passé pour l'instruction culinaire, c'est aujourd'hui le phénomène d'exclusion par le prisme de la compétition qui semble dominer dans les nouvelles séries culinaires à la mode. Par le biais du rêve (la belle et grande cuisine), c'est en effet un message de lutte entre des personnes réelles (monsieur et madame tout-le-monde, identiques au téléspectateur) dotées de mains d'or, que l'on exhibe à l'écran. Présentée comme un lieu réel de convivialité ludique alors qu'elle est l'instrument de la compétition, la cuisine télévisée s'apparenterait finalement aujourd'hui à un ring de boxe où les candidats se battent sans merci à coups de louches et de casseroles, de manière évidente (Master Chef, Top Chef) ou de façon plus insidieuse (Un dîner presque parfait). Ce constat invite à poser cette question : à l'heure actuelle, quelle est encore la place effectivement laissée à la convivialité et au noble art de la table dans ces émissions modernes ?
Ainsi, nous entendons mettre ici en évidence la place laissée à la convivialité et à la solidarité, et, avec elles, à la compétition voire à l'exclusion dans quelques émissions de télé-réalité actuellement en vogue. Pour ce faire, nous procèderons à l'analyse de plusieurs séquences de cinq séries télévisées choisies pour leur audimat spectaculaire, à savoir Top Chef, Master Chef, Comme un chef, Un diner presque parfait et L'amour au menu.
Par le passage au peigne fin d'épisodes rassemblés, nous chercherons à identifier les différents éléments, parfois subtils, qui participent au déploiement de dimensions compétitives et, partant, excluantes dans ces émissions télévisées. Nous entendons plus particulièrement étudier les propos et les procédés langagiers qui alimentent les rivalités entre les candidats et nourrissent l'esprit de compétition. Car il y a tout lieu de penser que, par-delà le choix des lieux de tournage ou le contexte situationnel dans lequel s'inscrivent les préparations des plats ou le dressage des assiettes, le type d'actions commandées mais aussi la manière dont les consignes sont énoncées, etc. servent toujours une finalité, celle du rappel de la mise en compétition, plus ou moins édulcoré suivant la série télévisée. Nous poserons par ailleurs la même hypothèse au sujet des propos tenus par les juges experts ès papilles ou encore par les candidats les uns sur les autres : que nous renseigne le choix des séquences opéré lors du montage en matière de valeurs portées par l'émission ? L'orientation des messages diffusés à l'écran est-elle tout à fait identique dans toutes les séries télévisées ?
Une fois observée la construction des discours de l'exclusion dans chacune des émissions sélectionnées, nous examinerons alors d'un point de vue (socio)linguistique et pragmatique, par le biais des maximes de Grice (1975) brièvement rappelées ci-dessous, la manière dont ces discours circulent dans ces shows télévisés et la place qui leur est réservée dans l'ensemble de l'émission. Nous examinerons ce faisant la mesure dans laquelle les discours de l'exclusion contrastent effectivement avec ceux de la convivialité -- paramètre qui semble inhérent au domaine culinaire dans l'imaginaire collectif actuel -- et l'emportent éventuellement sur ces derniers. Nous conclurons alors par la comparaison des résultats observés pour chacune des cinq séries de télé-réalité retenues.
Original language | French |
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Title of host publication | Communication présentée au colloque "Le manger et le dire" (19-22 septembre 2012, Université libre de Bruxelles) |
Publication status | Published - 2012 |
Publication series
Name | Communication présentée au colloque "Le manger et le dire" (19-22 septembre 2012, Université libre de Bruxelles) |
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Keywords
- pragmatic